CHAPITRE 1
Du double combat contre l'esprit
d'impureté.
Notre deuxième combat, selon la tradition des pères, est contre
l'esprit d'impureté. C'est de tous le plus long, le plus persistant; et à bien
peu il est donné devoir la complète victoire. Guerre cruelle, qui commence à
sévir contre le genre humain avec le premier instant de l'adolescence, et qui ne
s'éteint qu'après que tous les autres vices ont été surmontés.
L’attaque est
double, le vice a comme deux têtes, qui se dressent en même temps pour le
combat. La résistance doit donc faire face aussi des deux parts. Le mal est dans
le corps et dans l'âme à la fois, et la violence de l'assaut résulte du
confluent des deux forces. C'est pourquoi, à moins que le corps et l'âme ne
luttent de concert, on ne peut non plus la vaincre, Le jeûne corporel ne suffit
pas à conquérir ou à conserver la pureté de la chasteté parfaite, si la
contrition de l'âme ne précède, avec la prière persévérante contre l'esprit
d'impureté et la méditation continuelle des Écritures; si l'on ne joint encore à
celle-ci la
science spirituelle, ainsi que le travail des mains, qui réprime
la fuyante mobilité du cœur et le rappelle à lui-même; si, avant tout, l'on
n'établit sur des fondements solides la vertu d'humilité, sans laquelle il n’est
point de triomphe sur quelque vice que ce soit.
CHAPITRE 2
Du moyen principal de corriger l'esprit
d'impureté.
La correction de ce vice découle principalement de la perfection
du cœur. Aussi bien, est-ce de notre cœur qu'en provient le virus, comme la Voix
du Seigneur nous le marque : «C'est du cœur, dit-il, que procèdent les pensées
mauvaises, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages,» (Mt
15,19) et le reste. L'œuvre de purification devra donc porter premièrement où
nous savons que gît la source de la vie et de la mort, selon cette parole de
Salomon : «Garde ton cœur en toute circonspection, car de lui jaillissent les
sources de la vie.» (Pro 4,23) La chair, en effet, est sujette à son libre
vouloir et à son empire.
Il faut donc embrasser avec un zèle extrême
l'austérité des jeûnes, de crainte que la chair, fortifiée par l'abondance de la
nourriture, ne s'oppose aux préceptes salutaires de l'âme, et, dans son
insolence, ne jette bas son conducteur, l'esprit, Mais, d'autre part, si nous
faisons tout consister dans la mortification du corps, sans que l'âme jeûne
pareillement des autres vices et s'occupe à la méditation divine et aux choses
spirituelles, il est absolument impossible que nous gravissions le faîte sublime
de l'intégrité véritable, dès là que ce qui est principal en nous fera la guerre
à la pureté de notre corps. Ainsi, il importe de purifier tout d'abord, selon la
sentence du Seigneur, «le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors
aussi soit pur». (Mt 23,26).
CHAPITRE 3
De quel puissant effet est la solitude jointe
à l'abstinence, pour triompher du vice de l'impureté.
Les autres vices s'éliminent au commerce des hommes et parmi le
quotidien exercice; les chutes mêmes en quelque sorte leur deviennent un remède.
Ainsi, la colère, la tristesse, l'impatience se guérissent par la méditation,
une sollicitude vigilante, le concours des frères et les provocations
continuelles. Plus souvent les mouvements s'en manifestent, plus souvent aussi
elles se voient prises en flagrant délit, et plus vite elles viennent à
guérison.
Au contraire, la présente maladie réclame, avec l'affliction du
corps et la contrition du cœur, la solitude et l'éloignement, pour que tombe la
fièvre mauvaise et que vienne la santé parfaite. Il est de certains malades, à
qui il est bon que leurs yeux mêmes ne rencontrent point les mets qui leur
seraient nuisibles, de peur que la seule vue ne leur en donne un désir fatal.
Pareillement, la tranquillité et la solitude offrent-elles de grands avantages,
pour bannir ce vice en particulier. L'esprit malade n'étant plus troublé de
diverses images, sa contemplation se fera plus pure; et par là-même, le foyer
pestilentiel de la concupiscence sera plus aisément détruit jusque dans ses
racines profondes.
CHAPITRE 4
De la différence qui existe entre la
continence et la chasteté, et si on les trouve toujours unies.
Que l'on n'aille point penser pour autant, qu'à mon sens il ne
se trouvera point de continents parmi ceux qui vivent en communauté. Je
confesse, au contraire, que rien n'est moins impossible. Mais, autre chose est
d'être continent; autre chose, d'être chaste, et de passer tout entier, pour
ainsi dire, dans l'amour de l'intégrité et de l'incorruption. On n'attribue par
excellence cette vertu qu'à ceux qui demeurent vierges de corps et d'âme. Tels
nous apparaissent l'un et l'autre Jean dans le Nouveau Testament, et dans
l’Ancien, Élie, Jérémie, Daniel. Et l'on ne sera pas téméraire de mettre dans
leur nombre ceux qui, après avoir éprouvé la corruption, sont parvenus par bien
des labeurs et de longs efforts au même état de pureté, intacts de corps et
d'esprit, et n'éprouvant les aiguillons de la chair que par le mouvement
innocent de la nature, plutôt que par le fait de la convoitise mauvaise. C'est
cet état que je prétends difficile à atteindre parmi la foule des hommes.
Faut-il dire impossible ? Que chacun, au lieu de s'en attendre à mon sentiment,
examine sa. propre conscience.
Au reste, je ne doute pas qu'il n'y ait nombre
de continents, qui sachent éteindre et réprimer par la crainte de la géhenne et
le désir du royaume des cieux les attaques de la chair, qu'elles se produisent à
de rares intervalles on qu'elles soient quotidiennes. Cependant, voici la
sentence des anciens à leur sujet : sans succomber aux poussées du vice, ils ne
sauraient demeurer à l'abri de tout mal ni de toute blessure. Dès qu'il y a
lutte, si répétés que puissent être les victoires et les triomphes, il est fatal
que l'on soit touché soi-même quelque jour.
CHAPITRE 5
L'effort humain ne suffit pas à triompher des
attaques de l'impureté.
Si nous avons à cœur de combattre le combat spirituel selon
les règles de concert avec l'Apôtre, hâtons-nous de surmonter l'immonde esprit
de toute l'ardeur de notre âme. Toutefois, ne mettons pas notre confiance en
notre propre force, car l'effort humain demeure ici impuissant; mais
appuyons-nous sur le secours du Seigneur. L'âme sera fatalement en butte aux
attaques du vice, tant qu'elle n'aura pas reconnu qu'elle fait une guerre
au-dessus de ses forces, et qu'elle ne saurait obtenir la victoire par son
propre labeur ni par son zèle, à moins d'être soutenue du secours et de la
protection divine.
CHAPITRE 6
Que le don de la chasteté comporte une grâce
de Dieu toute spéciale.
Assurément, pour tout progrès dans la vertu, tout triomphe
sur le vice, au Seigneur appartient la grâce et la victoire. Mais il y a ici un
particulier bienfait de Dieu, un don spécial : le sentiment des pères s'accorde
avec l'expérience, pour rendre cette vérité manifeste à ceux qui ont mérité de
posséder la pureté. Car c'est en quelque manière sortir de la chair, tout en
demeurant dans un corps. Être revêtu d'une chair fragile, et ne point sentir les
aiguillons de la chair : n'y a-t-il pas là quelque chose qui est au-dessus de la
nature ?
C'est pourquoi il est impossible à l'homme de voler, pour ainsi
dire, de ses propres ailes jusqu'à une récompense si sublime et si céleste; mais
la grâce du Seigneur doit le tirer de la boue terrestre, par le don de la
chasteté. Il n'est point de vertu qui égale si proprement les hommes charnels
aux esprits angéliques et imite si parfaitement leur vie, que la grâce et le
mérite de la chasteté. Encore habitants de la terre, ils ont par elle «leur cité
dans les cieux»,( Phil 3,20) comme parle l'Apôtre, et la promesse adressée aux
saints pour la vie future, quand sera déposée la corruption de la chair, ils la
possèdent déjà ici-bas dans une chair fragile.
CHAPITRE 7
Exemple tiré des luttes de ce monde, d'après
une parole de l'Apôtre.
Écoutez ce que dit l'Apôtre : «Celui qui lutte dans les jeux
s'abstient de tout.» (1 Cor 9,25). De quel tout parle-t-il ? Cherchons, afin que
la comparaison des luttes humaines nous serve d'instruction pour le combat
spirituel.
Ceux qui prétendent lutter selon les règles dans les joutes
terrestres, n'ont pas la faculté d'user de tous les aliments dont la passion
peut leur suggérer le désir; mais seulement des mets que les règlements
professionnels ont déterminés. Encore n'est-ce point assez de s'abstenir des
aliments interdits, de l'ivresse et. de tout ce qui sent l'orgie : ils doivent
éviter l'inaction, l'oisiveté, la paresse, et développer leur force au milieu
des exercices quotidiens et par une étude ininterrompue. D'ailleurs, étrangers à
toute sollicitude, tristesse, affaire séculière, aux affections comme aux
charges de la famille, ils ne connaissent que la pratique de leur carrière et
ils s'embarrassent d'aucun souci terrestre. C'est du seul président des jeux
qu'ils attendent le pain quotidien, la gloire de la couronne, et la récompense
proportionnée à l'honneur de la victoire. Avec cela, une continence absolue, de
crainte qu'en perdant de leur vigueur, ils ne deviennent impropres au
combat.
CHAPITRE 8
Comparaison de la pureté des
athlètes.
Si nous avons compris la discipline des jeux de ce monde, par
l'exemple de laquelle l'Apôtre nous a voulu instruire, marquant de quelle
attention, de quel soin diligent, de quelle vigilance elle est faite, quelle
conduite nous conviendra-t-il de tenir, en quelle pureté faudra-t-il garder
notre corps et notre âme, nous qui devons manger chaque jour la chair sacrée de
l'Agneau ? Les commandements de la Loi ancienne elle-même ne permettent pas à
l'impur de toucher au sacrifice. Il est prescrit, en effet, dans le Lévitique :
«Quiconque sera pur, pourra manger de la chair du sacrifice. Mais celui qui, se
trouvant en état d'impureté, aura mangé de la chair du sacrifice salutaire
appartenant au Seigneur, périra devant le Seigneur.» (Lev 7,19-20).
Quelle
est donc la grandeur du don de l'intégrité, puisque, sans lui, ceux-là mêmes qui
vécurent sous l'Ancien Testament, ne pouvaient prendre part aux sacrifices
figuratifs, et ceux qui convoitent les couronnes corruptibles d'ici-bas, ne
peuvent être couronnés !
CHAPITRE 9
En quelle pureté de cœur nous devons nous
garder sous les yeux du Seigneur.
Il nous faut donc avant tout purifier les retraites profondes de
notre cœur en toute vigilance. Le prix que les autres désirent obtenir par la
pureté du corps, nous devons, nous, le mériter aussi dans le sanctuaire de la
conscience. C'est là que réside le Seigneur, arbitre et président des jeux,
perpétuel témoin de notre course et de nos combats. Ne laissons pas se
développer en nous, par des pensées imprudentes, le mal que nous redoutons de
commettre au grand jour; ne nous souillons point de la complaisance secrète des
choses que nous rougirions de faire à la vue des hommes. De telles fautes
peuvent bien échapper au regard humain; mais elles ne trompent pas celui des
anges saints ni du Dieu tout-puissant, auquel nul secret ne se
dérobé.
CHAPITRE 10
L'indice de la parfaite et entière
pureté.
L'indice évident, la preuve achevée de la pureté intérieure,
c'est que nulle image du péché ne s'offre à notre esprit, tandis que nous
reposons dans l'abandon du sommeil, que du moins elle n'excite aucun mouvement
de concupiscence. Il est vrai, ces mouvements ne comptent pas pour des fautes
véritables, ils sont néanmoins l'indice d'une âme encore imparfaite, d'où le
vice n'a pas été entièrement aboli.
CHAPITRE 11
Quelle est l'origine des fantômes de la
nuit.
Le repos de la nuit fait l'épreuve de nos pensées, et de la
négligence que nous avons mise à les garder, parmi les distractions du jour. Si
nous avons quelque chose à regretter, la faute n'en est pas au sommeil, mais à
la négligence du temps qui a précédé. C'est un vice intérieurement caché qui
s'est manifesté. Il ne doit pas sa naissance à l'heure de la nuit; mais il avait
son siège dans les libres les plus intimes de l'âme. Le sommeil n'a fait que le
produire; il a manifesté la fièvre impure que nous avions contractée tout le
jour, en nourrissant notre esprit de pensées pernicieuses. Telles les maladies
corporelles. Leur origine ne date pas de l'instant où elles se déclarent, mais
elles sont dues à la négligence du temps qui a précédé : une nourriture
malsaine, prise imprudemment, a engendré des humeurs nuisibles et capables de
causer la mort.
CHAPITRE 12
La pureté de corps ne s'obtient pas sans la
pureté du cœur.
L'Auteur et Créateur du genre humain, Dieu, qui connaît
mieux que personne l'ouvrage de ses Mains et les moyens de l'amender, a bien
appliqué le remède, où Il savait être la cause principale de la maladie :
«Quiconque, dit-Il, regarde une femme avec convoitise, a déjà commis l'adultère
dans son cœur.» (Mt 5,28).
Il condamne les yeux impudents; et toutefois, ce
ne sont pas tant les yeux qu’Il accuse, que le sentiment intérieur qui abuse de
leur office, pour le plaisir de voir. De fait, c'est cœur malade et blessé du
trait de la passion, qui regarde avec convoitise. Le Créateur, dans sa Sagesse,
lui a concédé le bienfait de la vue; lui, le fait servir par sa faute à des
œuvres de mal, et le regard lui devient une occasion de manifester le vice de la
concupiscence caché dans son fond. Voilà pourquoi c'est à lui qu'est adressé le
commandement salutaire, par la faute de qui la redoutable maladie se déclare à
l'occasion du regard. Il n'est pas dit : «Garde tes yeux avec circonspection.».
Pourtant, ce sont eux qu'il eût fallu garder, si c'était d'eux que procédât la
convoitise. Mais ils ne font que prêter simplement leurs services à l'âme. Aussi
est-il dit : «Garde ton cœur en toute circonspection.» (Pro 4,23) À lui est
prescrit le remède, parce que c'est lui qui partout peut abuser du ministère des
yeux.
CHAPITRE 13
Où doit commencer notre vigilance dans
l'œuvre de la purification.
Le démon est habile; il sait, de façon subtile, nous suggérer la
pensée du sexe. Et d'abord, il nous représente le souvenir de notre mère, de nos
sœurs, ou de nos parentes, ou des femmes de sainte vie. C'est dès ce moment que
doit se montrer notre vigilance. Rejetons en hâte ces pensées des retraites de
notre cœur. Si nous nous y arrêtions, le tentateur, peut-être, en prendrait
occasion, et subtilement nous ferait glisser, puis nous précipiterait dans le
souvenir des personnes qui lui permettront de jeter à pleines mains les idées du
mal.
Nous devons avoir constamment à la mémoire le précepte : «Garde ton cœur
en toute circonspection.» Selon le commandement principal de Dieu, observons
avec sollicitude la tête pernicieuse du serpent, c'est-à-dire le principe des
pensées mauvaises, à la faveur desquelles le diable essaye de ramper dans notre
âme; ne laissons point, par notre négligence, pénétrer dans notre cœur le reste
de son corps, c'est-à-dire le consentement au plaisir coupable : car, une fois
entré, il tient notre âme captive, et sa morsure empoisonnée lui donnera la
mort.
Il nous faut aussi exterminer «les pécheurs de notre terre»,
c'est-à-dire les pensées charnelles, dès qu'elles se produisent au jour, «au
matin de leur naissance»; (Ps 100,8) «briser les enfants de Babylone contre la
pierre,»(Ps 136,9) tandis qu'ils sont encore petits, car, si nous ne les tuons
dans leur premier âge, ils grandiront grâce à cette connivence, et, devenus plus
vigoureux, ils s'insurgeront contre nous pour notre perte, ou du moins nous ne
les vaincrons pas sans bien des gémissements et des peines. «Lorsque le fort»,
c'est-à-dire notre esprit, «garde en armes sa maison», faisant un rempart de la
crainte de Dieu aux profondeurs secrètes de son cœur, «tout son bien»,
c'est-a-dire le prix de ses travaux et les vertus conquises à longueur de temps,
«est en paix». «Mais, si un plus fort survient qui le vainque,» c'est-à-dire le
diable, par le consentement aux pensées mauvaises, «celui-ci emportera ses
armes, dans lesquelles il mettait sa confiance,» c'est-à-dire le souvenir des
Écritures et la crainte de Dieu, et «distribuera ses dépouilles», (Luc 11,21-22)
dispersant aux mains des vices opposés les mérites de ses
vertus.
CHAPITRE 14
Que notre dessein n'est pas de chanter les
louanges de la chasteté, mais d'exposer ce qu'elle est.
Notre dessein n'étant pas de chanter la gloire de la
chasteté, mais d'expliquer sa nature à l'aide des enseignements des pères, le
moyen de l'acquérir et de la conserver, ainsi que sa fin, je passerai sous
silence tout ce que les saintes Écritures renferment à sa louange, et ne citerai
que cette parole du bienheureux Apôtre, dans son épître aux Thessaloniciens. On
y voit clairement de combien il la préfère à toutes les autres vertus, par la
noblesse des termes dans lesquels il la recommande.
CHAPITRE 15
Que l'Apôtre donne spécialement à la chasteté
le nom de sainteté.
«La Volonté de Dieu, dit-il, est que vous soyez saints.» Et,
de peur de laisser dans le doute ou dans l'obscurité ce qu'il entend appeler du
nom de sainteté, si c'est la justice, ou la charité, ou l'humilité, ou la
patience — car nous croyons que toutes ces vertus contribuent à faire les
saints, — il poursuit, en désignant manifestement ce qu'il veut nommer au juste
la sainteté : «La volonté de Dieu est que vous soyez saints, que vous vous
absteniez de l'impudicité, que chacun de vous sache posséder son corps dans
l'honneur et la sainteté, et non point dans les emportements et la passion,
comme font les païens, qui ne connaissent pas Dieu.» (1 Thes 4,3-5). Voyez de
quels éloges il la couvre, l'appelant l'honneur et la sainteté de notre corps.
Donc, à l'opposé, celui qui vit, dans les emportements de la passion, gît dans
l'ignominie et l'immondicité, et demeure étranger à toute sainteté.
Un peu
plus loin, l'Apôtre s'y reprend une troisième fois, et de nouveau la qualifie de
sainteté : «Car Dieu, dit-il, ne nous a pas appelés à l'ignominie, mais à la
sainteté. Celui donc qui méprise ces commandements, ce n'est pas un homme qu'il
méprise, mais Dieu, qui nous a donné son saint Esprit pour habiter en nous.»
(Ibid. 7-8). Il couronne son précepte d'une autorité inviolable, en déclarant :
«Celui qui méprise ces commandements,» c'est-à-dire ce que je viens de dire
touchant là sainteté, «ce n'est pas un homme qu'il méprise,» c'est-à-dire moi,
qui fais ce commandement, «mais Dieu qui parle en moi,» (2 Cor 13,3) et qui a
destiné notre cœur, pour être la demeure de son saint Esprit.
Simplement et
sans luxe de développements, vous voyez de quels éloges et de quelle gloire le
bienheureux Apôtre exalte la chasteté. Premièrement, il lui attribue à titre
spécial l’honneur de la sainteté; il affirme ensuite que notre corps est délivré
par elle de l'immondicité, et troisièmement, que, par elle encore, il persévère
dans l'honneur et la sainteté, après avoir rejeté toute ignominie et toute
honte. Enfin, et ceci constitue la suprême récompense, la couronne sans égale et
la béatitude parfaite, il enseigne que, grâce à elle, le saint Esprit devient
l'hôte de nos âmes.
CHAPITRE 16
Autre témoignage de lApôtre sur le même
sujet.
Ce petit livre tend à sa fin. Je veux néanmoins, donnant ce
que je n'ai point promis, citer encore un témoignage de l'Apôtre, analogue au
premier. Il écrit aux Hébreux : «Recherchez la paix avec tous, et la sainteté,
sans laquelle personne ne verra Dieu.» (Heb 12,14). Voilà de nouveau qui est
évident : sans la sainteté, par où l'Apôtre entend habituellement l'intégrité de
l’âme avec la pureté du corps, il est absolument impossible de voir Dieu. Aussi
bien ajoute-t-il, afin d'expliquer sa pensée . «Qu'il n'y ait parmi vous ni
impudique ni profanateur, comme Essai.» (Ibid. 16).
CHAPITRE 17
L'espoir d'une plus sublime récompense doit
augmenter notre vigilance.
Mais, plus le prix de la chasteté est sublime et céleste,
plus redoutables sont les embûches dont ses adversaires la poursuivent. Nous
aurons donc un soin spécial de la continence corporelle assurément, mais aussi
de la contrition du cœur, dans la prière assidue et les gémissements. Alors, la
rosée du saint Esprit, descendant en nos cœurs, éteindra la fournaise de notre
chair, que le roi de Babylone ne cesse d'aviver du souffle mauvais des
suggestions charnelles.
CHAPITRE 18
De même que la chasteté ne s'obtient pas sans
l'humilité; de même la science sans la chasteté.
Du sentiment des anciens, comme il est impossible d'obtenir
la chasteté, si l'on ne jette premièrement dans son cœur les fondements de
l'humilité, on ne saurait non plus parvenir à la fontaine de la vraie science,
tant que les racines du vice impur demeurent dans le fond de l'âme.
D'autre
part, s'il est impossible de posséder la science spirituelle sans l'intégrité,
l'intégrité peut se rencontrer sans la grâce de la science. C'est que divers
sont les dons; et la même grâce du saint Esprit n'est pas accordée a tous, mais
celle dont chacun s'est rendu digne et capable par son zèle et ses efforts.
Ainsi, tous les saints apôtres ont joui de l'intégrité parfaite; mais le don de
science a particulièrement abondé en saint Paul, parce qu'il s'y était préparé
par son ardeur intelligente et son application.
CHAPITRE 19
Parole du saint évêque Basile sur le sujet de
sa virginité.
On rapporte de saint Basile, évêque de Césarée, cette
austère parole : «Je n'ai point de rapports avec le sexe, et pourtant je ne suis
pas vierge.» Tant il avait compris que l'incorruption de la chair ne consiste
pas tant dans l'abstention de tout commerce illicite, que dans l'intégrité du
cœur, laquelle garde vraiment et à jamais immaculée la sainteté du corps, par
crainte de Dieu et par amour de la chasteté.
CHAPITRE 20
La fin de la véritable intégrité et
pureté.
La fin et la preuve achevée de l'intégrité est que le
plaisir mauvais ne vienne plus troubler notre sommeil. La nature a ses
nécessités inévitables; mais celles-ci doivent être tout innocentes. Encore une
vertu consommée en saura-t-elle diminuer la fréquence.
CHAPITRE 21
Le moyen de se
conserver dans la pureté parfaite.
Il nous sera possible de nous garder toujours dans cet
état,... si nous pensons que Dieu est, jour et nuit, l'infaillible témoin, non
seulement de nos actes les plus secrets, mais de toutes nos pensées, et croyons
qu'il faudra lui rendre compte de tout ce qui se passe dans notre cœur, aussi
bien que de nos faits et gestes.
CHAPITRE 22
Jusqu'où peut aller l'intégrité du corps, ou
l'indice d'une âme entièrement purifiée.
Qu'un saint empressement nous anime donc, et luttons contre les
mouvements de l'âme et les aiguillons de la chair, jusqu'à ce que les nécessités
de la nature ne suscitent plus de combats à la chasteté. Tant que l'âme est
abusée par les fantômes de la nuit, elle peut reconnaître à ce signe qu'elle
n'est point parvenue encore à l'entière perfection de la
chasteté.
CHAPITRE 23
Remèdes par où la pureté de cœur et de corps
peut demeurer parfaite.
Dans cette vue… gardons un jeûne toujours égal et modéré.
Qui dépasse la mesure dans l'austérité, la dépassera nécessairement aussi dans
les moments de relâche. Avec une telle inégalité, il ne pourra certainement se
maintenir dans la tranquillité parfaite, tantôt abattu
par un jeûne immodéré,
tantôt appesanti par l'excès de nourriture. Notre pureté suit le vicissitudes de
notre régime.
Puis, il faut pratiquer une humilité constante, la patience du
cœur, et se garder ave soin durant le jour contre la colère et les autres
passions. Où réside le venin de la colère pénètre fatalement le feu de la
luxure. Sur toutes choses, la plus délicate sollicitude nous est nécessaire
durant les nuits. De même que la pureté et la vigilance du jour préparent les
nuits chastes, les veilles de la nuit constituent à l'âme une réserve de vigueur
et de vigilance pour tout le cours du jour.